Joker, les deux états de nature (Todd Philipps, 2019)

Marx disait que l’explication consiste le plus souvent à remettre la causalité dans le bon ordre. C’est en substance la première partie du film Joker : ridiculisant la naïveté du personnage grotesque du Batman (qui semble être le seul à ne pas voir qu’il combat ce dont il est la cause), Joker origine la genèse de son héros au point d’incandescence de l’intersectionnalité (où la maladie mentale joue ici le rôle de minorité pouvant toucher toutes les minorités). Mais cela, chaque spectateur le décèle sans difficulté (une autre qualité du film).

Plus intéressant — et moins explicite — est l’approfondissement opéré dans une seconde partie du film : profitant de ce que l’opacité référentielle soit crevée, que la névrose du personnage apparaisse au grand jour de ses hallucinations, le film se détache de son axe sociologique pour entamer une réflexion plus philosophique. C’est que, semble-t-on nous dire, si la société se présente toujours comme oppositive et alternative à un autre état qui lui serait inférieur, un état dit de nature et dans lequel la règle serait de tuer ou d’être tué, si donc la société se présente toujours à nous comme un dépassement de l’état de nature, elle possède toutefois son propre état de nature, sous la forme d’un délitement moral où la loi archaïque devient : tuer ou se tuer.

C’est ce qu’il faut comprendre quand, au moment précis de son moment warholien, le héros renonce à son projet de suicide ; plus précisément, quand manifesté par le ré-alignement de son rire d’avec ses émotions, son projet de suicide en direct, de suicide théâtralisé, se transforme en meurtre — sans fard.

« Les fous n’ont pas perdu la raison. Les fous ont tout perdu, sauf la raison. »
Chesterton

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